À quelques pas du Capitole, à Washington, la foule tente de rejoindre l’avenue Pennsylvania où se déroule le rassemblement. Des manifestant·e·s sont bloqué·e·s dans les escalators extérieurs du métro, à une dizaine de mètres de l'avenue principale. La police les empêche de sortir en raison de l'affluence. Les organisateurs attendent au moins 500 000 personnes de tout le pays.
Pour certain·e·s, c'est une première. Ils et elles n'avaient encore jamais manifesté jusqu'au soulèvement qui a suivi la tuerie de trop. Ils et elles n'ont pas vingt ans et sont aussi à la tête d’un mouvement d’ampleur nationale, à l'instar des manifestations pacifistes contre la guerre du Vietnam ou de Mai 68. Leur portée questionne, particulièrement en raison des prochaines élections de mi-mandat. Cameron Kasky, l’un des survivants de la tuerie de Parkland et fondateurs du mouvement, affirme depuis la scène : « Aux meneurs, sceptiques et cyniques qui nous ont dit de nous asseoir et de rester silencieux en attendant notre tour. Bienvenue dans la révolution. » Ils et elles appartiennent à la Génération Z, née à partir de 1997, selon le Pew Research Center. Le 6 novembre 2018, cette génération a rendez-vous avec les urnes à l'occasion de ce qui sera certainement un premier vote.
Mobilisé mais aussi immobilisé pendant trois heures en raison de l’affluence, le public voit défiler, sur les 14 écrans géants placés le long du parcours, dix-sept adolescent.e.s affecté.e.s par la violence des armes, venu.e.s de tout les États-Unis, pour prendre la parole en l'honneur des dix-sept victimes de l'établissement Marjory Stoneman Douglas, à Parkland. Bruce Seaton, professeur dans un lycée de 300 élèves du Nouveau-Mexique, a traversé le pays avec huit élèves sélectionnées à partir d'un concours de dissertations ayant pour sujet le sens de leur présence au rassemblement. Le proviseur a organisé un financement participatif et récolté 12 000 dollars pour payer les frais et permettre aux élèves « de prendre part à l'histoire et de marquer l'unité entre des professeurs et des élèves envers d'autres élèves et professeurs », indique Seaton.
Stuart Mevens Leck, lycéen de 18 ans, dit « avoir entendu parler de trop nombreuses fois de tueries de masse survenues en milieu scolaire », situation qu’il qualifie « d'insupportable ». Selon lui, « la législation sur les armes n'est pas assez stricte ». Pour l'avenir, Stuart espère « que ces tueries s'arrêtent, idéalement, toutes les tueries ». Il votera pour la première fois aux élections de novembre. Même si le mouvement #NeverAgain n'est pas à l'origine de sa décision, il assure cependant qu'il n'en reste pas moins « un mouvement assurément inspirant ».
Meade Reilh et Johanna Fallin, 21 ans, ont recyclé leurs bonnets de la Marche des femmes 2017 et sont arrivées de Richmond, en Virginie, le matin même. Elles repartiront quelques heures après la marche. Johanna indique qu'elle deviendra prochainement institutrice et qu'elle manifeste contre les armes dans les écoles. Pour Meade, « ce mouvement est salvateur, il peut probablement permettre une prise de conscience de la violence causée par les armes aux États-Unis ». Elle ajoute que « cette journée est un espoir qu'une déclaration soit faite et qu'il n'y ait plus de place pour les armes dans les écoles mais aussi que la législation sur les armes soit plus stricte pour les personnes atteintes de troubles mentaux ». Johanna, de son côté, rêve « d'un monde où les gens puissent coexister et vivre sans violence ». Toutes deux veulent un changement même si elles ignorent la nature de celui-ci, « à cause du président actuel et des personnes politiques au pouvoir ».
Jennifer Cole, 17 ans, réside à Washington. Elle aussi a participé à la Marche des femmes de 2017. Elle n'aura pas encore atteint l'âge nécessaire pour voter en novembre, mais elle s'est aperçue qu'elle pouvait contribuer au changement d'une autre façon, en participant notamment à des rassemblements ou manifestations. Elle ajoute : « C'est ma façon de faire en sorte que le congrès entende ma voix. » Jennifer a souvent l'impression que sa génération « n'est pas prise au sérieux parce qu'ils et elles sont trop jeunes et ne seraient pas en âge d'avoir des opinions politiques ». Elle remarque cependant qu'ils et elles sont « assez vieux pour mourir à cause de problèmes tels que les armes à feu et qu'ils et elles devraient alors être en mesure de pouvoir participer au débat ». Selon elle, le principal défi de sa génération sera d'être entendue. À l'avenir, elle pense continuer à nourrir son engagement citoyen.
Les participant.e.s du rassemblement regardent les données sur les tueries par armes à feu aux États-Unis, diffusées sur les écrans géants. Selon l'association Gun Violence Archive, depuis la tuerie de Floride, le 14 février, dix-neuf autres ont été comptabilisées, amenant à quarante-neuf le nombre total de tueries de masse aux États-Unis depuis ce début d'année (lire également l'article de Mathieu Magnaudeix). Selon l'association, 12 370 événements impliquant des armes à feu ont déjà été répertoriés pour la seule année 2018, faisant 3 164 morts et pas moins de 5 515 blessés.
Victor Escarate-Cruz, 20 ans, est impressionné par le manque total de contrôle en matière d'armes aux États-Unis. Il espère que plus de gens s'investiront dans les élections à l'avenir. Il ajoute : « Je veux juste que quelque chose se passe. N'importe quoi mais que quelque chose se passe. » Victor se dit « très fier de sa génération, de ces jeunes qui ont organisé la manifestation. Ils font un travail incroyable ». Il se félicite « qu'il y ait un tas de gens qui soient venus, et pas uniquement [sa] génération ». Il en doutait, à cause des « manifestations de plus en plus fréquentes ». Mais finalement, ce n'est pas le cas et « on se sent soutenus ».
John Fair, 18 ans, de Washington DC, prend régulièrement part aux rassemblements visant le progrès social. Il était présent à la Marche des femmes de 2017. Pour lui, les défis auxquels sa génération devra faire face sont liés aux politiques actuelles. « C'est en devenir », indique-t-il. « Il y aura de plus en plus de dilemmes à résoudre avec le président que nous avons et qui est comme il est, qui agit comme il agit et qui fait ce qu'il fait, mais nous sommes une génération motivée. Nous avons le pouvoir d'amener des changements. » Pour lui, le mouvement #NeverAgain a un potentiel incroyable parce qu'il donne une visibilité même à ceux qui ne viennent pas. Il conclut en indiquant : « Les gens voient que l'on est très nombreux. »
La visibilité de la marche a conforté les partisan.e.s d'un engagement commun. Une bataille de plus sous l'ère Trump qui voit naître des vocations d'activistes à chaque rassemblement d'importance. Les associations Moms Demand Actions for Gun Sense in America et Everytown for Gun Safety Action Fund ont créé une nouvelle branche du nom de Students Demand Action, « entendre les étudiants demandent des actions », déjà soutenue par 13 000 bénévoles. Maintenir cette flamme jusqu'aux élections sera leur prochaine mission.
Isaiah Dawson, 19 ans, vient de Floride et fait ses études à Washington D.C. Il est passionné par la lutte contre la violence par les armes à feu et milite aussi pour la communauté LGBT. Selon lui, « c'est un moment monumental dans la politique américaine et auquel les milléniaux et post-milléniaux prennent réellement part, contrairement aux générations qui les ont précédés et qui ont été inactives ». Isaiah est très fier des post-milléniaux et ajoute : « On n'a pas peur, on est très connectés avec les technologies, on est plus éduqués et sans doute plus progressistes. » Selon lui, le prochain défi de sa génération sera de combattre la polarisation politique. Cette année, il votera et ajoute : « Je suis très enthousiaste pour les élections. »
Carrie Jornal, de Pennsylvanie, aura 18 ans cette année et pourra voter en novembre. Carrie a assisté à la Marche des femmes de Washington en 2017. Cette fois, elle justifie sa présence parce qu'elle pense « que les armes ne devraient pas être aussi facilement accessibles et qu'elle ne veut pas que d'autres élèves, ni d'autres familles aient à vivre les expériences relatives au drame de février ». Carrie aspire à « un monde où chacun s'écoute et sache d'où vient l'autre » mais aussi « que l'on soit capable de voir ce que l'on peut faire en tant que groupe, de savoir qu'on peut avoir le pouvoir et que finalement, on utilise nos voix ».
À Parkland, les étudiants du lycée marqué par la tragédie ont prévu d'autres marches dans les capitales de tous les États du pays. Le 20 avril, un autre rassemblement les attend pour commémorer les dix-neuf ans de la tuerie de Columbine.

A Washington, les armes de la jeunesse

Des centaines de milliers de manifestants ont défilé samedi 24 mars dans de nombreuses villes des États-Unis à l’appel des organisateurs de la « Marche pour nos vies », un mouvement qui n’a cessé de s’amplifier depuis la tuerie de Parkland en Floride.

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